brice jeannin

 

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Melody Laughter (2005)

Ce travail d'assemblage est constitué de 7 pistes issues chacune d'un enregistrement pirate différent du Velvet Underground. Les concerts ont eu lieu entre Novembre 1966 et Octobre 1969). Chaque enregistrement a été édité selon le même principe : suppression des morceaux joués et juxtaposition des interstices initiaux. En dehors de ce processus d'édition aucune modification n'a été faite au son de chaque bootleg.
La couleur générale du son, l'approximation et les erreurs d'enregistrement/traitement restent intacts. Certains pirates restituent l'intégralité du concert, d'autres coupent systématiquement les intervalles ou choisissent seulement quelques passages.

 

November 4, 1966 - Valleydale Ballroom

March 15, 1969 - Boston Tea Party

 

Le concert (de rock) ne commence jamais ; les plus longs morceaux, entre leur annonce et les applaudissements qui le clôturent, ne durent que la resonance d'une note. "This is called Heroin" suffit à déclencher parfois un tonnerre d'applaudissements totalement improbables en début de morceau vis à vis d'un public (du moins pour le concert de 66) majoritairement non familier avec la musique du groupe. La détermination du public ne decroît pas le concert avançant et il n'a de cesse d'exprimer plus ou moins bruyamment sa satisfaction. Ici il ne se passe rien de ce que ce même public attend et reçoit, on peut cependant écouter ses humeurs ainsi que celles du groupe, dans les limites de ce que chacun peut / veut bien faire entendre : les tics d'annonce, les blagues texanes de Lou Reed, les incessants solos-préchauffages à bas volume de Sterling Morrison, l'anglais titubant de Nico, les réactions identiques de publics différents, etc...


Le fait que le Velvet ait été un groupe de scène très efficace augmente l'intérêt (et donc la diffusion) que l'on peut porter à leurs bootlegs, ultimes preuves d'une énergie par définition éphémère et dont la forme n'est pas renouvelable. C'est un medium conçu par et pour les fans de rock, une attitude documentaire (parfois commerciale) d'une certaine manière illégale mais poursuivant pourtant la logique de subversion souterraine de certains des groupes qu'elle concerne directement. Elle reste en tous cas la plupart du temps invisible et imprévisible par les musiciens, à l'opposé de l'enregistrement live officiel. Il s'agit pour les bootlegs d'une trace, d'une marque temporelle qui témoigne de la tentative de capture / appropriation d'un moment jugé important par son enregistreur et/ou l'auditeur du bootleg (l'un est souvent l'autre également). Capturer est la volonté principale qui préside à tout enregistrement, mais dans un cadre de musique rock, la capture peut s'opérer de la scéne comme de la salle sans que l'autre partie soit forcément prévenue, ni même s'en aperçoive à un moment ou un autre. Tout le monde à intérêt à cacher son micro : le groupe pour préserver l'authenticité des réactions de son public, les bootleggers pour la même raison en sens inverse (et éviter la confiscation de l'appareil, voire pire).


Le relatif amateurisme des fans agit sur l'enregistrement et l'édition pirate de la même manière que le professionnalisme des techniciens sur les lives officiels, il marque et individualise ces témoignages sonores. A contrario si la technique accomplie des professionnels est au service de desideratas particuliers (qui émanent des musiciens, du producteur ou de l'ingénieur) et manifeste une certaine efficacité dans la réalisation de ceux-ci, l'amateur sait très bien qu'il n'atteindra pas cette efficacité technique pour son enregistrement. S'il n'obtient pas une qualité sonore de premier choix, il n'empêche qu'il enregistre une musique unique (du moins sensée l'être d'où l'interdiction dans certains cas), il duplique et tente de sauvegarder en temps réel l'instant qu'il vit. La satisfaction en sortant de la salle est double, il a vu et entendu un concert qu'il va pouvoir réentendre et associer aux moments qu'il a vecu dans la salle.


Même s'il n'a qu'une carte postale un peu jaunie, c'est un témoignage personnel et des points clés qui distinguent cet enregistrement des autres réalisés dans des conditions similaires. Souvent c'est entre les morceaux que l'on trouve ces instants de communication particuliers, discrets, quelquefois maladroits, qui offrent au spectateur, en plus de la vue, la parole, parfois le dialogue, choses qui sont absentes du disque qu'il a écouté chez lui. Certains bootlegs sont célèbres pour "leurs" versions de telle ou telle chanson, d'autres pour des traces d'événements inattendus, comiques, bizarres et symptomatiques de la mentalité du groupe ou du moins de l'image qu'il en donne ("If it's too loud, move back..." - Valleydale Ballroom), de l'entente ou mésentente entre les membres et plus généralement de moments de vie commune, formatés par l'espace scénique mais propres au microcosme d'une formation rock singulière.

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